Interview croisée : À la chasse au doublé
Le casting est à la hauteur du défi : ces deux compétiteurs composent un duo de choc, paré à monter aux avant-postes d’une course dont la victoire et le podium risquent fort de se jouer jusqu’au bout.
Dans leur préparation aussi rigoureuse que méthodique, les deux co-skippers n’ont rien laissé au hasard pour se donner les moyens d’arriver au meilleur niveau de performance. D’ailleurs, les résultats ne se sont pas fait attendre, comme l’illustre le coup d’éclat signé par le duo d’APIVIA sur la première course du programme en double : la Rolex Fastnet Race le 11 août dernier.
Une belle vitesse constante et une stratégie inspirée ont composé les ingrédients pour s’imposer avec plusieurs heures d’avance sur leurs plus proches poursuivants au terme de la 49e édition de cette prestigieuse épreuve anglo-saxonne. Une magnifique victoire à partager qui permet à ces deux spécialistes de la navigation en solitaire d’ajouter une ligne de plus à leurs palmarès respectifs cumulant ainsi à eux deux pas moins d’une bonne dizaine de victoires en double.

En tant que navigateurs solitaires, que vous inspire le double ?
Charlie : « On y trouve les avantages du solo sans les inconvénients. Ce format permet d’apprendre de quelqu’un d’autre. Cela demande un peu de préparation pour trouver le bon fonctionnement qui permet de tirer le meilleur de chacun. « 1+1 » n’égale pas forcément « 2 ». On a déjà vu des associations de très bons marins dont les compétences se sont annulées. Notre objectif est d’aboutir à une cohésion optimum qui permette de faire appel aux meilleures compétences de chacun. »
Paul : « Le double est clairement un format qui nous réussit à tous les deux, dans lequel on performe. L’ADN de notre sport reste la navigation en solitaire, un exercice qui, quelque part, fait l’apologie de la maîtrise. En solo, celui qui gagne, c’est celui qui fait le moins d’erreurs. En double, on peut pousser davantage sur le fonctionnement du bateau. D’ailleurs, on est souvent plus fatigués à l’arrivée d’une transat en double ! »
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les secrets de la réussite à deux ?
Paul : « J’ai fait quatre ans de 49er (dériveur), et j’ai pu voir que l’une des clés de la performance, c’est d’avoir un objectif commun qui simplifie considérablement le fonctionnement. Le nôtre, c’est la victoire. »
Charlie : « Même si on manœuvre à deux et qu’on prend les grosses décisions stratégiques et tactiques à deux, le double peut aussi s’apparenter à du faux solitaire. On passe chacun beaucoup de temps seul sur le pont, ce qui exige une certaine indépendance et des automatismes dans l’utilisation du bateau. L’un des premiers objectifs de cette saison a donc été de permettre à Paul d’acquérir toutes les sensibilités pour toujours mener APIVIA au maximum de son potentiel. »
Quelles sont vos attentes sur cette saison 2021 ?
Charlie : « J’ai clairement choisi Paul pour gagner la Transat Jacques Vabre ! Le cahier des charges était un peu différent de celui de 2019, quand j’étais dans la découverte d’APIVIA. Cette année, la course nous emmène sur un parcours plus long et exigeant ; et le plateau sera très relevé. Je cherchais quelqu’un qui sache aller vite en IMOCA, capable d’encaisser la dureté de ces bateaux. Il faut pouvoir tenir la cadence à des vitesses démultipliées sous foils. Paul a déjà une solide expertise de ces monocoques ; et il a toutes les qualités physiques pour tenir le choc. On va tout faire pour mériter la victoire, mais il faut aussi garder beaucoup d’humilité vis-à-vis de ces courses au long cours, durant lesquelles on évolue dans un environnement qu’on ne contrôle pas et qui réserve toujours une part d’incertitudes. »
Paul : « Un projet-gagnant, c’est le rêve ! Forcément, j’ai été attiré par le niveau de l’équipe et de Charlie. Le Vendée Globe a révélé que le duo qu’il forme avec APIVIA compte indéniablement parmi les couples bateau-skipper les plus performants. Je suis aussi très curieux de découvrir la façon de naviguer de Charlie, différente de la mienne. Charlie est rigoureux et précis. Il a une approche très analytique. De mon côté, j’espère lui apporter des choses en matière de feeling, d’observation, et de ressenti. »
Comment se passe votre « ménage à trois » Charlie, Paul et APIVIA ?
Charlie : « Après un Vendée Globe, c’est plutôt agréable de reprendre la compétition en double, même si je dois bien avouer que j’ai mes petites habitudes et des façons de faire bien ancrées à bord de ce bateau que je connais sur le bout des doigts. Mais Paul a su trouver sa place rapidement, en dépit des petits pièges, comme le code couleur au niveau des bouts, propre à APIVIA, différent par rapport à ce qu’il est d’usage de voir sur d’autres IMOCA. C’est ma petite touche perso à bord de mon bateau à laquelle Paul a dû s’habituer. »
Paul : « Je sais m’adapter aux habitudes d’un skipper. J’aime beaucoup la philosophie du bateau, la façon dont il a été fait, en misant sur une certaine forme de simplicité, même si les IMOCA sont par définition des bateaux extrêmement compliqués. Je le trouve très intuitif et instinctif, cela m’aide pour me sentir à l’aise à bord. Sans compter que le bateau de Sam Davies était équipé de foils très proches de ceux d’APIVIA dans leur version d’origine. Cela me permet de bien ressentir les différences entre ces premiers appendices et ceux de la V2 ; et d’apporter mon regard sur le choix qui sera fait pour la transat. »
Votre incontestable victoire sur la Rolex Fastnet Race en août dernier a dû vous permettre d’engranger beaucoup de confiance dès le début de la saison ?
Charlie : « C’est clair ! Au-delà du plaisir de décrocher une victoire sur cette épreuve anglaise que j’apprécie particulièrement, la plus grande réussite a été de rendre cette bonne copie double avec Paul sur notre première course. Tout a été fluide, tant au niveau des manœuvres, que dans les décisions stratégiques, ou encore sur le relais à l’intérieur du cockpit. Cette course du Fastnet nous a apporté un ensemble de confirmations très positives, qu’on a renouvelé sur les 48h du Défi Azimut. »
Paul : « Dès le départ, dans des conditions encore jamais vraiment éprouvées, nous avons rapidement trouvé les bons réflexes, avec une très bonne vitesse. J’ai dû faire une dizaine de virements à la colonne de winch pour nous extraire du Solent, ce qui m’a bien fatigué. Mais à la sortie des Needles, j’ai pu dormir une demi-heure. On a trouvé un bon tempo de binôme. On est chacun été assez autonome dans la gestion du bateau ; et on sait se reposer tout en gardant un rythme très élevé en continu. »