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[DANS L’ŒIL DE…] GÉRARD VAILLANT

[DANS L’ŒIL DE…] GÉRARD VAILLANT
VENDREDI 04 DéCEMBRE

[DANS L’ŒIL DE…] GÉRARD VAILLANT

Coach professionnel certifié ACC par l’International Coaching Fédération depuis 2010, Gérard Vaillant accompagne depuis plus de 25 ans des sportifs de haut niveau, le Pôle Finistère Course au Large et travaille depuis 2014 aux côtés de Charlie et APIVIA en vue de ce Vendée Globe. Préparation mentale, accompagnement dans l’anticipation des problématiques, gestion du stress et des émotions… Rencontre.

A l’image de nombreux autres sports, le coaching mental semble être de plus en plus courant dans la voile et plus spécifiquement la course au large, n’est-ce pas ?

Gérard Vaillant : En effet, j’ai noté et entendu que nombreux sont les marins du Vendée Globe qui ont travaillé ces aspects-là comme Kevin Escoffier, Armel Tripon, Sébastien Simon, Jérémie Beyou, Damien Seguin… Ils ont communiqué sur le fait qu’ils étaient accompagnés, soit par des préparateurs mentaux, ou des psychologues du sport. Des typologies d’intervenants différents qui permettent à chacun d’amener en eux plus de confiance. Cela est assez nouveau d’en parler car il faut savoir que l’on travaille dans une sphère d’intimité particulière et très spécifique à chacun. Déjà, il faut savoir que le profil des marins est déjà plus singulier, que particulier. C’est à dire que le travail que l’on fait doit se customiser à chacun. Quels sont ses objectifs ? Quelle est sa personnalité ? De quoi a-t-il besoin ? Il y a quelques années, c’était plutôt cacher le fait de travailler avec quelqu’un sur les sujets de psychologie du sport, de préparation et de coaching mental. Cela faisait partie un peu du domaine du secret. Aujourd’hui moins, et c’est bien d’en parler !

Vous travaillez avec Charlie depuis longtemps ?

GV : J’ai la chance de le connaître depuis 2014 puisque l’on a travaillé ensemble sur deux saisons de Figaro. On a fait des tests, on en a refait et on a validé certaines choses… dont le fait que Charlie, aujourd’hui, se connaît bien. J’ai toujours eu comme préférence de travail avec Charlie de lui poser les questions de : qu’est-ce que l’on travaille aujourd’hui ? Le meilleur spécialiste de Charlie, c’est Charlie lui-même. Cela l’a amené à devenir responsable de ce que l’on faisait ensemble, de choisir les thématiques les plus porteuses de résultats et de bénéfices pour lui, pour sa navigation et la réussite de son projet. Il a fait, de fait, un travail sur lui-même, lui permettant d’être attentif à des signaux corporels qui lui permettent de savoir : est-ce que c’est le Charlie stressé ou le Charlie lucide qui est en train de parler, afin de ne pas prendre de décisions dans la précipitation.

Ainsi, aujourd’hui, il est capable de prendre des décisions, qu’il a intégré corporellement. Cet apprentissage de découverte de « comment je me sens », lui permet maintenant d’accéder à son intuition et d’en faire un vrai outil de performance. On a travaillé avec Charlie selon une méthode dite Action Types (ndlr, qui permet d’étudier ses propres préférences motrices et ses variations dans le temps en fonction du contexte) et sur quelque chose qui est son corolaire, la neuro-harmonisation (ndlr, possibilité de mettre son cerveau ou celui de quelqu’un d’autre dans les meilleures conditions pour réussir une tâche particulière). Cela permet de mettre en évidence que lorsque l’on est reposé, on a un profil particulier validé au niveau psychologique et au niveau du fonctionnement du cerveau. Ainsi Charlie, quand il va bien, a un profil qu’il met en jeu pour faire le mieux possible. Et quand il est fatigué, il change de profil pour découvrir une autre facette de lui qui est, le lui fatigué ou le lui pressé.

Charlie en Figaro sous les couleurs de Skipper Macif

Quel est le but précis d’une telle démarche ?

GV : C’est toujours compliqué de savoir quel est le but. Il y a le but affiché, par exemple vis-à-vis des médias ou d’un sponsor, mais après la notion de performance est toujours sujette à caution. Il y a la performance déclarée et la performance intime. Il y a les deux à clarifier pour être aligné, pour avoir ce que l’on appelle : Terre / Cœur / Corps. En fait, le but de cette fameuse performance est que Charlie soit droit dans ses baskets dans toutes les décisions qu’il va prendre. De même, que pour être performant, il faut être droit dans ses objectifs. Charlie a annoncé que pour être dans la notion de victoire dans ce Vendée Globe, c’est d’être dans les premiers bateaux. Il a eu pour objectif de construire la possibilité d’atteindre cela.

Evoque-t-on tous les scénarios possibles ?

GV : Non, car il y a des scénarios que lui n’a pas voulu regarder peut-être à un niveau conscient ou inconscient. En fait, on travaille en essayant d’imaginer le plus de cas possibles, sachant que l’on ne sera jamais dans la réalité. Par exemple, il n’y a que les skippers qui sont arrivés dans le Sud ou qui l’ont fait, qui peuvent vivre cette émotion. L’image du mur d’eau qui arrive par l’arrière du bateau est explicite… On a beau la travailler en mentalisation, en imagerie, en visualisation à terre, cela n’a rien à voir avec ce qui va être vécu en mer. Mais, on prépare un maximum de choses en espérant avoir préparé ce qui sera utile, nécessaire et qui fera la différence. Mais, on ne sait qu’au retour la manière dont cela a été vécu. Et encore, on ne sait que ce qui est du domaine du conscient. L’image de l’iceberg est intéressante dans le fait où il y a des choses que l’on verbalise et il y a des millions et de millions de choses qui n’ont pas été conscientisées. Par exemple : on n’a pas conscience de la pousse de nos cheveux, de notre thermorégulation, de l’adaptation cardiaque à l’effort… de ces millions de choses que notre corps fait très bien dont une grande partie de gestion émotionnelle.

Un des buts est également de préparer à la gestion du stress, de l’émotion, n’est-ce-pas ?

GV : Notre approche globale reste de préparer à la capacité d’accepter les hauts et les bas. Car, si tous savent utiliser leur routage, leur cartographie et s’ils sont très professionnels dans nombre de domaines, ce qui peut faire la différence c’est, quand on arrive face à des situations extrêmes, d’y être préparé. En fait, tout le travail se doit d’être fait en amont. Je n’ai plus le droit d’échanger avec Charlie, de par les règles de course. Donc, il appartient aujourd’hui à Charlie d’imaginer seul, de quoi il a besoin pour passer sereinement certains moments qui peuvent être difficiles. Nous avons fait en sorte qu’il soit préparé à différents cas de figure. De temps en temps, je lui suggérais de travailler sur ces aspects-là, de telle sorte à ce qu’il anticipe certains scénarios. Je lui ai demandé de trouver des références de plusieurs types de navigation, comme untel navigue à l’attaque, ou un autre navigue plus conservateur, afin de créer sa propre façon de naviguer à lui et sa propre façon de réagir à telle ou telle situation. Ces mers du Sud qu’ils rencontrent maintenant, il n’y a jamais été. Mais il a beaucoup questionné ces mentors, comme François Gabart, pour leur demander comment ils avaient fait afin de se projeter, d’anticiper pour avoir des réponses au comment je vais faire quand cela va m’arriver ? Ce qui fait que même si c’est une mer dans laquelle il n’a pas navigué, il s’est construit des repères. Cela lui permet aussi de ne pas prendre de risques délibérés à l’image de la dépression tropicale du début de course qu’il a géré en bon père de famille – et cette image lui va bien – sans prendre de risques pour lui ou pour le bateau.

Doit-on savoir également gérer ses joies, ses bonheurs ?

GV : Il faut savoir profiter et se remplir des bons moments, sans s’en gargariser. C’est une source d’énergie pour pouvoir endurer les mauvais moments. Il faut être capable de traverser les mauvais moments qui ne nous définissent pas. Une émotion négative, comme une émotion positive, n’est juste que passagère. Il ne faut pas penser qu’elle va perdurer, ce qui facilite le fait de la traverser. La peur par exemple est juste une émotion qui a comme avantage de prendre soin de soi, prendre soin du bateau pour être pro et responsable dans sa façon de faire. A l’inverse, il ne faut pas non plus penser que cela va être la fête tous les jours à bord d’APIVIA. Il va y avoir des moments donnés qui vont être terribles, mais en étant prêt et ayant conscience que c’est un moment à traverser, on va trouver la ressource de laisser ce moment passer, de cultiver une certaine lucidité qui va permettre de ne pas faire une bêtise dans un moment difficile.

Devient-on, de fait, plus honnête également vis-à-vis de soi-même ?

GV : Être honnête vis-à-vis de soi-même est un point déterminant à la réussite du projet. C’est une difficulté parce que, lorsque l’on est champion ou favori comme Charlie, on pourrait avoir ce que l’on dit la grosse tête, ce qui n’est absolument pas son cas ! Il a une stabilité et une stature étonnante pour son âge. Il fait partie des jeunes skippers, c’est son premier Vendée Globe et pour autant, il affiche une sérénité et une maîtrise de la situation grâce à ce qu’il a construit avant. Cela fait des années qu’il pense Vendée Globe. Nous travaillons ensemble depuis 2014, mais il le travaillait déjà avant pour acquérir les compétences, les savoir-faire, la technicité…