Votre espace client Aller dans mon espace client

[DANS L’ŒIL DE…] Virginie Auffret

[DANS L’ŒIL DE…] Virginie Auffret
vendredi 18 décembre 2020

[DANS L’ŒIL DE…] Virginie Auffret

L’alimentation en mer est un vrai sujet, d’autant plus sur un tour du monde en solitaire ! Diététicienne et diplômée en nutrition du sport, Virginie Auffret a collaboré avec de nombreux skippers et sur plusieurs tours du monde. Aux côtés de Charlie et d’APIVIA, elle nous en explique la démarche. Rencontre…

Est-ce que la question de l’importance de l’alimentation à bord est récente ?

Virginie Auffret : Quand je suis arrivée il y a quinze ans dans le domaine de la voile, effectivement, certains ne comprenaient pas très bien la démarche, même si je constatais que les nouvelles générations de marins étaient très à l’écoute de cette approche. La question de l’avitaillement à bord, auparavant, se limitait au plaisir et au poids et non, à l’apport nutritionnel pur. Au fur et à mesure, certains ont participé aux interventions collectives proposées et je voyais de nouvelles petites têtes venir… Il est vrai que les jeunes générations de skippers ont intégré tout de suite cette approche et l’ont considéré comme générateur de performances. J’ai connu Charlie assez tôt via le pôle Finistère Course au Large. Au début, il bénéficiait plutôt d’interventions collectives. Et puis, au fur et à mesure de son expérience et du travail qu’il a pu faire sur tous les paramètres liés à la recherche de performances, il a intégré l’importance de la nutrition dans son quotidien. 

En quoi consiste une préparation au Vendée Globe ?

VA : Nous travaillons avec Charlie sur la préparation du Vendée Globe, depuis le début de l’année 2020 au travers de rencontres assez régulières. En tant que nutritionniste, je fais toujours des consultations initiales pour connaître les objectifs de la personne sur sa nutrition à bord et ce qu’elle en attend, car tous ont des façons d‘aborder différemment l’alimentation en mer. Je dois également connaître les contraintes techniques, soit quel poids maximum il peut embarquer ? Est-ce qu’il souhaite emporter certains types de plat ou certains types de snacks ? Le but, c’est de connaître au maximum ses volontés et ensuite, de le guider, pour compléter de manière à avoir quelque chose qui soit adapté à ses dépenses énergétiques, le tout en fonction des zones climatiques traversées. Ainsi, concrètement, je définis d’abord l’apport énergétique de la personne en fonction de ses apports spontanés, de son état de santé, de son poids…



Sacs d’avitaillement

Si tout est ok à terre sur sa santé, je pars du principe que ses apports spontanés en terme énergétiques répondent plutôt à ses besoins et ensuite, je vais majorer en fonction des zones climatiques traversées. Il est vrai que lorsque c’est un premier Vendée Globe, forcément, le skipper est face à certains inconnus. Pour avoir suivi d’autres marins sur différents tours du monde, soit dans le cadre du Vendée Globe ou de la Volvo Ocean Race, j’ai eu des retours d’expérience. Donc, forcément, il a une consultation qui aborde ce sujet des inconnus, face auxquels le skipper sera confronté. L’un des autres intérêts de ce travail en amont, est également de mettre en place un programme alimentaire à terre, avant le départ, pour que Charlie puisse être au top de ses performances au moment venu. En fait, ce que je leur dis c’est : OK, il y a l’objectif du Vendée Globe et de préparer l’avitaillement pour les 70 jours de mer, mais il y a tout ce qu’il se passe avant la course où il va falloir travailler pour optimiser son organisme. Il est vrai que, s’ils sont focalisés sur l’optimisation du bateau avant le départ, il ne faut pas oublier d’optimiser l’organisme si l’on veut être performant le moment venu, soit de ne pas être fatigué, de ne pas être carencé au moment du départ. Et cela passe donc, par la mise en place d’un programme en amont précis. 

Il y a-t-il, dans ce programme en amont, des phases de bilans intermédiaires ?

VA : Oui. Je demande en amont de faire des bilans sanguins pour voir s’il existe des carences ou pas. Après, nous faisons des checks réguliers pour voir si les conseils alimentaires proposés et à mettre en pratique avant le départ ont bien été assimilés et si le skipper se sent mieux. Et c’est ce qui a été le cas pour Charlie qui a vraiment mis en pratique son programme dès le début de l’année. Et, il a tout de suite ressenti les effets positifs sur ses navigations d’entraînement et sur sa forme à terre. Il a joué le jeu à fond ! On est vraiment avec Charlie dans le haut niveau et, de fait, il a activé tous les facteurs dont celui-ci pour optimiser ses performances. 

Comment est organisée l’alimentation à bord ?

VA : Charlie souhaitait au départ emporter 100% de lyophilisés et puis, au fur et à mesure des tests et de nos échanges, il a fait évoluer son avis. Mon conseil a été de lui dire : attention, si tu as déjà testé des lyophilisés sur 15 ou 20 jours, ce n’est pas la même approche d’en manger pendant 70 ou 75 jours ! Je l’ai donc guidé pour diversifier beaucoup plus ses repas. Charlie fonctionne jour par jour à bord d’APIVIA. Il a son sac journalier, avec le jour marqué dessus. Soit, il consomme tout et alors il sait qu’il a le must du must au niveau énergétique en matière d’apports nutritionnels. Soit, il ne consomme pas tout et il met de côté en se disant que cela pourra lui servir pour plus tard. Le repère est que s’il n’a pas tout consommé, il va avoir une carence d’apport sur sa journée. Cela peut-être un repère pour lui en fonction de son état de fatigue. S’il a eu par exemple plus de manœuvres un jour et qu’il n’a pas tout mangé, il sait que c’est un des paramètres qui va diminuer sa performance. Il n’y a pas de sac complémentaire car, souvent, les marins me disent « là tu m’en as mis trop ». Le snacking est pour moi des collations qui font parties intégrantes du sac journalier et qui vont être liés à une manœuvre ou un temps dédié à une pause. Il y a différents aliments très variés et moi, je leur explique que cet aliment va être à prendre une demi-heure avant la manœuvre. A l’inverse, s’il est dans un moment de pause, il va devoir sélectionner un autre aliment. On sait par exemple que certains aliments libèrent plus d’endorphine et vont favoriser la récupération. 

Il y a la notion d’apports physiologiques, mais aussi de plaisir dans la nutrition, n’est-ce-pas ?

VA : Que ce soit à terre ou en mer, je conseille toujours d’associer l’alimentation comme un plaisir, mais un plaisir qui nourrit. Donc, il faut qu’il y ait ces deux notions, et cela n’est pas incompatible, bien au contraire. Je suis là pour expliquer que cela est possible et que l’on va travailler ensemble pour mettre en place cela. C’est sûr que la marge de manœuvre est d’autant plus importante pour un marin qui se retrouve seul en mer pendant des jours, où l’on sait que l’un des réconforts possibles va être l’alimentation. Je suis spécialisée dans les sportifs professionnels et je travaille par exemple avec le Rugby Club de Vannes ou le Football Club de Lorient. Il est vrai que l’approche, en termes de nutrition, n’est pas du tout la même. Je ne peux pas avoir les mêmes conseils entre un footballeur qui va être tous les soirs chez lui après avoir fait son match le week-end, et un marin qui part plus de 70 jours en mer et qui va vivre autant de choses exceptionnelles sur le plan psychologique que physique. C’est tout ce travail qui va être passionnant à mettre en place avec lui justement. 


Vous évoquez la notion de doudous alimentaires, qu’est-ce que c’est ?

VA : On définit en fait entre nous certaines choses importantes à avoir à bord. Charlie va me dire : je ne peux pas partir sans ça ou ça… On liste et puis après, soit on décide que cela va être une base bonus en plus de la base quotidienne, mais cela suppose alors du poids embarqué en plus, soit on va intégrer ses doudous-là dans la base quotidienne. Cela va alors avoir des répercussions sur les à-côtés, car si la base inclut des plaisirs avec des calories vides, il va donc falloir faire d’autres efforts en parallèle. C’est une question de compromis, entre ce que souhaite le marin en tant que poids embarqué, d’apports nutritionnels et de plaisirs alimentaires. Il faut savoir que le plaisir alimentaire est très variable d’une personne à une autre. Il y a des personnes qui vont avoir des plaisirs sucrés d’autres salés… Mais il y a beaucoup d’aliments qui associent à la fois le côté plaisir et le côté sportif. En voile, c’est plus facile que dans d’autres sports par exemple. Car je sais que je suis sur un sport d’endurance avec une importante notion de tenir dans le temps. Par exemple, il y a des aliments comme le fromage ou la charcuterie qui se conservent très bien dans le temps et qui sont des atouts en termes de protéines et de calcium, et assez énergétiques dans les mers du Sud. Et puis souvent, ils aiment bien ! Donc finalement, on associe l’utile et l’agréable.

Et le plaisir dans la boisson a sa place sur une Vendée Globe ?

VA : Le plaisir dans la boisson fait également partie de la réflexion. Ce qui revient souvent, ce sont les sodas. Mais, le problème des sodas est, et ce de manière systématique et incontournable, le poids. On ne peut pas imaginer emmener des cannettes pour tous les jours par exemple. Charlie par exemple en a pris, mais pas très souvent !

Peut-on constater des notions de manque ?

VA : Il peut y avoir des manques sur certaines vitamines qui peuvent arriver. Mais, aujourd’hui avec la base de lyophilisés, de stérilisés et avec certains aliments que l’on peut amener, on ne s’en sort pas trop mal en matière d’apports. Par contre, l’apport en micronutriments va évoluer. Parce que nos références en matière de conservation d’aliments sont complètement erronées. Dans le sens, où l’on consomme à terre comme en mer, beaucoup de produits transformés. Le but des industriels va être de faire durer le produit le plus longtemps possible. Donc, de fait, derrière, il y a des ajouts, des conservateurs et des additifs pour faire durer le produit. On voit donc que cela entraîne un appauvrissement de certains micronutriments. Donc, ce que je vais conseiller en mer n’est pas valable à terre. Dans le sens où, comme nous devons faire face à une contrainte de durabilité et de conservation des produits, je vais malheureusement sur des produits de longue conservation de manière à qu’ils tiennent dans le temps. Alors qu’à terre, je vais dire à Charlie de travailler sur une alimentation qui évolue vite, plus fraîche… 

Nous allons entrer dans des moments plus festifs à terre, est-ce que c’est quelque chose qui est pris en compte à bord d‘APIVIA ?

VA : A la base, j’avais prévu un repas un peu plus Noël, on va dire… mais c’est souvent les familles qui s’en chargent. Cela fait partie des choses sympas qui se passent autour de l’avitaillement et les familles donnent, ainsi, leurs doudous alimentaires à eux pour faire du bien au skipper en mer. Il y a, à ce moment-là, une sorte de partage plus intime.