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[DANS L’ŒIL DE…] YANN ELIÈS

[DANS L’ŒIL DE…] YANN ELIÈS
vendredi 27 novembre 2020

[DANS L’ŒIL DE…] YANN ELIÈS

Triple vainqueur de la Solitaire du Figaro, double détenteur du Trophée Jules Verne, double participation au Vendée Globe, double vainqueur de la Transat Jacques Vabre dont la dernière édition aux côtés de Charlie Dalin sur APIVIA, Yann Eliès nous livre son regard sur ce début de Vendée Globe et les mers du Sud. Très intéressant…

Quel est ton regard sur ce début de Vendée Globe ?

Yann Eliès : Il y a eu quand même un gros écrémage au niveau de la catégorie des favoris, si l’on parle de celle où se situe APIVIA, avec le premier retour au port d’un des principaux favoris avec Jérémie (Beyou sur Charal), puis l’avarie d’Alex (Thomson sur Hugo Boss). Je pense que cela a fait prendre conscience à Charlie que cela allait être long, qu’il fallait ménager sa monture et que cela allait être dur. Ce qui m’a impressionné chez Charlie, c’est cette capacité à ne pas subir la pression. Il n’a pas eu par exemple cette difficulté à partir… Je l’ai trouvé très fort. On a vu pas mal de marins et pas des moindres, dont moi aussi de par le passé, à avoir du mal à partir. Car, d’un coup d’un seul, tu prends conscience que tu pars pour faire le Vendée Globe. Il y a le préparer et partir le faire. Ce n’est pas pareil !

Je l’ai trouvé avant le départ assez frais, assez serein et ça, c’est clairement un atout. Il n’avait pas de tristesse, de peur, d’angoisse lié à l’événement. Du coup, il est plutôt dans la maîtrise des choses même s’il a eu un petit moment de flottement dans le contournement de la dépression tropicale Thêta, où il a pris de la marge, sur la marge. Je pense qu’il n’avait pas imaginé que des coureurs allaient tenter la route optimum qui était assez engagée, mais il s’est vite rattrapé… et son classement le prouve !

Vous avez gagné la Transat Jacques Vabre ensemble, quel est ton avis sur APIVIA ?

YE : C’est un bateau intéressant, car il va vite tout le temps. Il est très polyvalent, avec quand même une petite inconnue au moment de la Transat Jacques Vabre, qui était le comportement du bateau au portant, dans de la mer. On avait eu du mal à trouver les clés sur la traversée. Il semble que c’est mieux lors des dernières navigations faites ensemble. Mais, ce qui m’impressionne surtout, c’est le niveau de préparation avec toute l’équipe de MerConcept. S’il y a un bateau qui est pour l’instant épargné par les avaries, qui est dans la maîtrise technique des choses, c’est bien APIVIA. Quand on fait le décompte, il y a quasiment que lui qui n’a pas eu de problèmes techniques. Ou alors, à la vue de ses trajectoires et du rythme imposé, il ne fait rien transparaître. Pour moi, il est clair qu’il n’a pas été obligé de ralentir pour réparer quoi que ce soit. Et ça, c’est un point très positif ! 

Dans quel état d’esprit est-on avant d’entrer dans les mers du Sud ? Te rappelles-tu de ta toute première fois ?

YE : Ma première entrée dans les mers du Sud était avec Orange lors du Trophée Jules Verne. On a tous, au début, pas mal d’anxiété car on te décrit ces mers comme compliquées et difficiles. Tu essayes de t’y projeter, de préparer ton bateau au mieux, de tout vérifier… mais rien ne remplace cette première entrée dans l’arène ! C’est un peu comme un boxeur qui entre sur un ring. Tu en prends plein la tronche la première semaine. Quoi qu’il arrive cet océan Indien, il est dur.  Tu passes une semaine ou quinze jours dans des conditions presque idylliques en tee-shirt, avec du beau temps, de la chaleur et des poissons volants et là, tu sens que tu mets les pieds dans un endroit hostile. Il y a un choc de températures, un choc de terrain de jeu, le corps n’est pas préparé à ce changement de milieu… Tout est fait pour que tu prennes des coups.

Après, avec le temps, on bout de quinze jours, tu trouves tes marques. Et quand tu sors au bout de trois semaines, un mois, ton corps s’y est habitué. Tu as trouvé le rythme… Mais les premiers jours sont violents. Je pense que Charlie a réfléchi à cela, même s’il va prendre cette nouvelle étape avec beaucoup d’humilité… Mais néanmoins, cela va lui demander un temps d’adaptation. L’avantage, c’est qu’ils devraient sortir avec Thomas, de la situation actuelle, avec un bon matelas d’avance sur les autres. Donc du coup, ils vont pouvoir y aller par paliers.

YE : Oui. Pourquoi ? Parce que les mers du Sud sont une partie où il va falloir commencer à apprendre à faire sans… C’est à dire que potentiellement, Charlie va voir que petit à petit le potentiel de son bateau risque de se dégrader très légèrement. On souhaite que ce soit le plus légèrement possible, mais il y a des choses qui peuvent commencer à dysfonctionner, à casser… Tout va être moins huilé, moins parfait et il va falloir apprendre, ainsi, à faire sans ou moins bien. Il va devoir faire avancer le bateau le plus vite possible, mais potentiellement en mode légèrement dégradé. Ce qui n’est pas forcément facile à accepter pour tout marin, et encore plus pour Charlie qui est perfectionniste et cartésien. Il va falloir qu’il apprenne à faire avec… Mais cela s’apprend, petit à petit, et je lui fais entièrement confiance ! 

Et le sentiment quand on quitte – enfin – les mers du Sud ?

YE : Quand on sort de ces mers-là, on les quitte avec du soulagement parce que l’on rentre vers la maison… Mais, on les quitte aussi avec nostalgie, car on quitte un endroit où dans une vie de marin on n’a que très peu l’occasion d’aller. Et que ce soit la fin d’un Vendée Globe ou la fin d’un record autour du monde, on a cette petite pensée… On laisse derrière nous des contrées sauvages et vierges que l’on ne reverra peut-être jamais. Cela reste un sentiment et une expérience exceptionnels… 

Cela fait relativement peu de temps que Charlie dit être dans le rythme sur APIVIA. Est-ce étonnant ?

YE : Non. Charlie et la plupart des marins novices dans un Vendée Globe n’ont en fait, et entre guillemets, que traverser l’Atlantique. Même s’ils l’ont fait plusieurs fois…  Dans notre dernière Transat Jacques Vabre, on avait dû mettre quatorze ou quinze jours pour rallier Salvador de Bahia. On est, sur ce type de course, sur un demi-fond et pas un sprint. On est sur de l’intense et tout est fait à bord pour cela. Là, on part sur un marathon et Charlie est sur le point de dépasser, je pense, son record de temps sur APIVIA. Il vient de prendre la mesure du temps qui passe et de ce que cela va représenter. Il faut savoir qu’ils ont fait 1/5e du temps de course et ça, à bord, tu y penses en ce moment.

C’est là, que tu prends la mesure du temps, de ce qu’il t’attend et du rythme qu’il va falloir trouver pour aller jusqu’au bout. Du coup, tu apprends personnellement à fonctionner différemment. Tu prends un peu plus de temps pour faire les manœuvres, tu t’assures qu’il n’y a pas de problème technique… Il faut savoir que chaque problème technique rencontré va te fatiguer et te prendre du temps. Et ce moment passé à résoudre un problème technique va te prendre du temps sur celui qui te sert à avancer et à te rapprocher du but. Un problème technique, c’est comme un boulet qui t’empêche de te rapprocher de la ligne d’arrivée. Donc, il vaut mieux perdre dix minutes et faire ralentir le bateau pour être sûr que tout se passe bien, avant de remettre en route sur un même bord pour plusieurs heures… Aussi, je ne suis pas étonné que Charlie dise être, maintenant, dans le rythme de son Vendée Globe.

Ton regard sur Charlie depuis le départ ?

YE : Sur cette première partie, Charlie force le respect. Vu de mon canapé, je trouve que sa performance et sa prestation sont super propres. Il faut qu’il se fasse confiance, car ce qu’il fait est bien ! Ça aussi, quand tu es en mer, tu ne t’en rends toujours pas compte… Franchement, tout va bien en ce moment, rien à dire !