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La force de la cohésion

La force de la cohésion
par Jean-Christophe Moine – Ethnomedia

La force de la cohésion

Charlie Dalin prendra bientôt le départ de la Transat Jacques Vabre avec son coéquipier Paul Meilhat. Deux semaines d’entraide et de coopération qui demandent de la cohésion si ce « work couple » des océans veut affronter l’épreuve dans la confiance et viser la meilleure performance.

Pas toujours facile de s’extirper de son canapé ou de sortir le nez de son écran, surtout un jour de pluie ou après une série de réunions harassantes, pour aller faire un peu d’exercice physique. On en a tous fait l’expérience : pratiquer une activité sportive à deux est plus motivant. D’abord, le plaisir de partager un moment avec l’autre moitié du binôme est en soi entraînant. Ensuite, une activité partagée engage les deux partenaires, chacun se sent responsable de son maintien. Dans un bon duo, le plus motivé aide l’autre à sortir de sa torpeur et à respecter son engagement.

Le psychologue Jeff Breckon, de l’Université de Sheffield Hallam (Royaume-Uni), parle aussi de « concurrence saine ». Nous ne voulons pas faire preuve de faiblesse en laissant l’autre seul mais, au contraire, être à la hauteur, se faire violence si nécessaire pour le suivre. Cet esprit de compétition amicale agit ensuite dans la pratique du sport. Elle conduit chacun à essayer de se dépasser, tout en modifiant la perception de l’effort et de la durée de l’activité, qui paraissent moindres. Le fait qu’exercer une activité physique en groupe libère davantage d’endorphine que lorsqu’elle est pratiquée en solo, n’est peut-être pas étranger à l’énergie et l’enthousiasme ressentis par les sportifs galvanisés par la pratique collective d’un sport. Cette hormone, synthétisée naturellement par le cerveau, outre qu’elle atténue la douleur, intervient dans les circuits de la récompense et du plaisir, et contribue à une sensation de bien¬-être, parfois même d’euphorie. La tendance du co-running et les communautés de coureurs en sont la preuve : ce n’est plus tant le culte de la performance qui fait courir, que la recherche de bien-être, de plaisir et de convivialité.

Autre avantage, lui aussi motivant : à plusieurs, entraîné par l’autre ou par le groupe, on progresse plus facilement et plus vite. Un constat qui n’est d’ailleurs pas réservé aux seuls débutants ou sportifs amateurs. Les athlètes de haut niveau en font aussi l’expérience. Charlie voit ainsi dans la transat en double l’occasion d’échanges enrichissants qui lui permettent de consolider ses acquis et de progresser. La condition d’une coopération réussie étant une cohésion à toute épreuve.

La notion de cohésion

Les membres d’une équipe sportive, explique Didier Delignière, professeur de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), partagent un destin : « c’est le groupe dans son ensemble qui va réussir ou échouer. La solidarité dans l’équipe émerge du fait que chacun est essentiel à la réussite de tous, et qu’aucun individu à lui seul ne peut donner à l’ensemble de l’équipe la réussite ». Dans Psychologie du sport, un livre paru en 2020, il revient sur un des ressorts essentiels de la réussite d’une équipe : la cohésion. Cette notion a été définie par Albert V. Carron, professeur de kinésiologie (ou physiologie du mouvement) et spécialiste du sport, comme « un processus dynamique qui se caractérise par la tendance d’un groupe à se serrer les coudes et à demeurer uni dans la poursuite de ses objectifs ». Un processus dynamique, cela signifie que sa mise en place demande du temps, et qu’elle se construit et se compose de facteurs multiples qui ont chacun un effet sur sa stabilité et sa force.

Bruce Tuckman, un psycho-sociologue américain, a proposé un modèle de construction de la cohésion en quatre étapes. Adapté au sport, l’étape 1, la constitution (forming), s’installe pendant les premières phases d’entraînement, lorsqu’il s’agit d’aller vers l’autre, de faire connaissance, dans un élan enthousiaste et affectif souvent éphémère. L’étape 2, la tension (storming), est l’étape des turbulences. Les sentiments de frustration apportés par les nouvelles contraintes peuvent engendrer des différents. Bien gérés, les discussions et les débats sont constructifs et conduisent à la troisième étape, celle de la normalisation (norming). La définition de norme de fonctionnement permet de dépasser les frustrations et les désaccords, et de développer la confiance et une vision collective, qui permettra d’atteindre la quatrième étape, l’exécution (performing). Le partage d’un objectif commun sur une base coopérative s’exprimera alors pleinement dans la performance sportive. Lorsque cette dernière est bonne, elle est sensée renforcer, à son tour, la cohésion. Toutefois, les scientifiques ne sont pas tous d’accord sur le sujet, et ont du mal à comprendre si la cohésion peut ou non augmenter le succès d’une équipe. Il semble en effet bien difficile de savoir si la cohésion est un déterminant ou une conséquence de la performance.

Naviguer à deux permet de pouvoir se relayer, se répartir les tâches, alléger la charge mentale, minimiser les erreurs, compter sur l’autre quand il faut dormir. Mais un binôme, c’est plus qu’une addition de compétences. Faculté d’empathie, qualité d’écoute, goût pour l’échange, sont des facteurs psychologiques bien plus difficiles à évaluer que les capacités physiques et techniques. Différences et complémentarités sont aussi importantes. Si Charlie estime être « sur la même longueur d’onde » que Paul Meilhat, dont il loue les qualités sportives et humaines, il est aussi conscient que « faire marcher un duo, ce n’est jamais simple, c’est toute une alchimie ». Heureusement, « Charlie est quelqu’un de facile à vivre » rassure Paul Meilhat. Selon une étude des sociologues Karla Bergen et Chad McBride (2015, PDF en anglais), les « work couples », ou encore « work spouse » (époux ou épouses de travail), seraient rassurants, offriraient stabilité et sérénité, et diminueraient le stress au travail. Sur ce dernier point, pas sûr qu’une course en double soit moins stressante qu’une solitaire ! Certes, on peut se reposer à tour de rôle et mieux dormir, mais avec un objectif clair : « pousser au maximum le potentiel du bateau » estime Charlie. Ce qui demande plus de manœuvres et une implication physique de tous les instants.