Les dessous de la carène d’APIVIA
Lors de sa mise à l’eau en 2019, APIVIA affichait certains partis pris. Lesquels ? Notamment sa carène, à la fois légère et puissante. Véritable colonne vertébrale du bateau, la carène est essentielle car c’est elle qui est en interaction directe avec l’eau. Baptiste Chardon, ingénieur du team, nous dévoile aujourd’hui les secrets de fond de coque d’APIVIA.
Petite topographie d’un IMOCA
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de bien poser le contexte. La coque est l’élément constituant d’un bateau, elle forme le flotteur. C’est elle qui assure la flottabilité et l’étanchéité d’un navire. Comme nous le rappelle Baptiste : « on peut distinguer deux parties sur la coque d’un bateau : d’un côté le pont, la partie émergée qui n’a pas d’influence avec l’eau, et de l’autre la carène, la partie immergée du bateau qui est en contact avec l’eau. » Jusque-là, rien de bien compliqué.
Sur les IMOCAS de dernière génération, la carène est toujours faite en carbone. Cependant, un débat existe entre deux écoles. La première option est de faire une coque en monolithique, c’est-à-dire constituée à 100% de carbone, « ce qui est du coup plus résistant aux impacts mais aussi beaucoup plus lourd » explique Baptiste. La deuxième option est ce qu’on appelle la structure sandwich, « c’est-à-dire qu’on superpose une première couche de carbone, de la mousse ou du nid d’abeille et à nouveau du carbone », ce qui permet d’alléger considérablement le bateau, et donc de gagner en vitesse.
Ce choix est loin d’être anodin. « Lors de ce Vendée Globe, comme les bateaux commencent à voler, les impacts sont plus importants qu’avant sur les fonds de coques. Du coup, il y a eu beaucoup de problèmes de délaminage (action par laquelle différentes couches de carbone se détachent les unes des autres) sur les coques en sandwich, surtout sur celles faites avec du nid d’abeille. A tel point que pour la prochaine jauge IMOCA en 2024, la zone de coque qui se trouve en dessous de la ligne de flottaison et 20 cm au-dessus sera obligatoirement en mousse, et non en nid d’abeille. Ça diminuera certainement la différence de poids entre le sandwich et le full monolithique. » C’est une variable importante car le delta de poids entre un fond de coque entièrement en carbone et un fond de coque en sandwich peut monter jusqu’à 80 kg !
Pour APIVIA, le bureau d’études a choisi de faire un mixte entre les deux méthodes. Les zones recevant le plus d’impacts (souvent des zones en avant du bateau) sont en monolithique ; le reste est en sandwich. Un choix de normand qui assure à la fois la solidité et un poids maîtrisé.
Une conception millimétrée
Le design d’APIVIA a été un vrai travail d’équipe, avec pour chef d’orchestre Guillaume Verdier, l’architecte naval vannetais qui a fait plus d’une fois ses preuves. Charlie Dalin n’a pas non plus été en reste. « J’étais très impliqué grâce à ma formation d’architecte navale dans la forme de la carène, j’ai passé beaucoup de temps avec Guillaume. On a arrêté la forme finale au bout de trois mois », avait d’ailleurs confié le skipper au Télégramme lors de la mise à l’eau du bateau en 2019.
« En travaillant avec Guillaume Verdier, on est reparti de la carène du Volvo 60, le projet de monotype pour l’Ocean Race 2022-2023. Guillaume a potassé pendant 2 ans sur ce bateau, il avait donc bien poussé le sujet. Après, c’est une carène plus typée équipage. On a donc refait des études afin de l’adapter à la navigation en solitaire », raconte Baptiste. Car lorsque l’on navigue à plusieurs, on a tendance à plus pousser le bateau qui va, par conséquent, plus gîter.
Pour faire évoluer les plans du bateau, l’équipe a donc eu recours à un supercalculateur CFD (Computational Fluid Dynamics en anglais). « Quand on fait une étude, on ne peut pas faire de calculs pour les milliards de configurations possibles, ça prendrait des dizaines d’années. Donc on simplifie. On fait plusieurs dessins de carènes pour lesquels on choisit quatre points d’études. Par exemple, un cas de près dans du vent fort avec une gîte à 17°, un cas de reaching à 20-25 nœuds de vitesse etc… Ensuite on passe les dessins en calcul et on regarde les résultats de traînée, par exemple, sur les points définis… et on choisit la meilleure option ! »

Plutôt rond ou plutôt carré ?
Encore une fois, lorsqu’il s’agit de la forme de la carène, il y a deux écoles. D’un côté on retrouve les carènes très arrondies comme celle de Charal, et de l’autre les carènes rectangulaires comme celle d’Arkea-Paprec ou de Corum. Et il s’agit d’un choix très stratégique.
Pour bien comprendre la différence entre ces deux types de coques, Baptiste nous a rappelé deux-trois principes de physique : « la poussé d’Archimède nous dit que le volume qui est immergé est égal au poids du bateau ». En somme, plus la partie de la carène en contact avec l’eau est importante, plus le bateau sera lourd, et donc moins il sera rapide une fois en mouvement. « Un bateau comme Charal par exemple, est vraiment très arrondi vu de derrière. Du coup, quand il est à plat, il y a très peu de surface immergée, et donc moins de trainée. En revanche, qu’importe la gîte, il aura toujours la même surface mouillée. À l’inverse, avec une carène rectangulaire, la surface immergée est très importante quand tu es à plat, donc ça va moins bien marcher dans cette disposition. Cependant, il y a un moment où, à un certain angle de gîte, tu auras moins de surface mouillée. Ton angle de redressement sera beaucoup plus grand, et tu auras plus de puissance. »
Et APIVIA dans tout ça ? La carène de notre IMOCA se trouve un peu à la croisée des deux options. Le bureau d’étude ayant cherché avant tout à dessiner le bateau le plus polyvalent possible.
Bilan après 3 mois de Vendée Globe
« Globalement, on est satisfaits vu le résultat ! », confie Baptiste. Le fait de raccourcir un peu l’étrave avant le Vendée Globe notamment, avait permis de légèrement moins taper dans les vagues. Mais les carènes des futures générations vont certainement continuer d’arrondir les angles, et notamment ceux de l’arrière du bateau, pour limiter les impacts amplifiés par les foils.
Mais si Charlie et l’équipe ont tiré des conclusions de ce tour du monde, la carène reste une partie du bateau qu’il est difficile de faire évoluer. « L’année dernière, quand on a fait une modification d’étrave, on l’a fait sur 2,5 mètres. Et déjà, 2,5 mètres à modifier c’était 2 mois de chantier. On touche à la colonne vertébrale du bateau. » Ainsi, si l’on décide par exemple de couper 8 mètres d’étrave, il faudra compter au minimum 6 mois de chantier. En effet, cela implique d’usiner une nouvelle pièce, de découper la coque, de regreffer la pièce, de reprendre les cloisons à l’intérieur du bateau… « Si l’on doit faire une comparaison, c’est comme mettre un moteur de camion dans un Scenic. La zone où l’on introduit le moteur n’a pas la même taille. Il faut donc tout modifier, il faut enlever les essieux etc… ». C’est pour cette raison qu’il est souvent nécessaire d’attendre l’arrivée d’une nouvelle génération de monocoques pour voir des changements drastiques apparaitre. Mais cela n’empêche pas APIVIA de rester un bateau ultra performant dans la flotte actuelle.