Plein phare sur les voiles d’APIVIA
Comment avancer (le plus vite possible) quand on n’a pas de moteur ? Grâce aux voiles et à la force du vent ! Pour atteindre des pointes de vitesse à plus de 30 nœuds, les IMOCAS ont besoin de voiles ultra performantes car c’est uniquement grâce à elles que ces Formules 1 des mers progressent sur l’eau. Antoine Gautier, Directeur des Études chez MerConcept, a conseillé Charlie sur les grandes décisions stratégiques du projet APIVIA. Il l’a notamment épaulé sur la question des voiles. Travaillant aux côtés de François Gabart depuis 10 ans, Antoine a participé à la conception de nombreux projets, notamment des IMOCAS et trimaran, et s’est découvert une passion pour le sujet des voiles. Elément de performance incontournable, chacune d’entre elles est une pièce unique et stratégique, soigneusement conçue par le bureau d’étude. Explications…
On sait que la coque et les foils d’APIVIA ont été entièrement réalisés sur-mesure, est-ce le cas des voiles également ?
Antoine Gautier : « Oui, Il n’y a pas deux voiles identiques qui sortent de la voilerie. Même sur un même projet, on ne refait jamais deux fois la même chose. Les voiles sont conçues en fonction du bateau, du skipper, de sa manière de naviguer, de son ressenti…. On a toujours des petites modifications à apporter en termes de structure (plus ou moins solide), au niveau des formes qui évoluent etc… »
Peux-tu nous dire en quoi sont réalisées les voiles actuellement ?
AG : « Les voiles sont faites en 3Di. Cette technologie a été développée et brevetée par North Sails (ndlr. constructeur des voiles d’APIVIA), il y a une dizaine d’années maintenant. Elle est réalisée à partir d’un assemblage de filaments de dyneema et de kevlar. En fonction de ce qui est recherché, on modifie les proportions de ces deux composants. La Grand-Voile*, le J-2* et le J-3* (ndlr. lexique des voiles disponible à la fin de l’interview) sont faits à partir de grandes proportions de kevlar pour obtenir plus de raideur. Les voiles de portant, comme le MH-0*, ont des proportions plus importantes de dyneema parce qu’on veut surtout qu’elles soient légères.
Après, ce sont presque les mêmes méthodes de construction que les coques et les foils, car c’est du composite. On n’utilise pas tout à fait les mêmes résines que pour les fils de carbone, les propriétés sont différentes, mais la technique reste la même : la fibre est imprégnée de résine afin de la rendre plus résistante. »

On n’a donc plus du tout recours à la couture ?
AG : « De moins en moins. La majorité des voiles arrivent en un seul morceau parce qu’elles sont directement moulées à la forme que l’on souhaite sur une énorme plateforme qui se déforme en fonction de nos besoins. Du coup, on ne récupère qu’un seul morceau, et c’est la voile complète. Il y a juste des assemblages sur nos plus grandes voiles, comme le MH-0*, car North Sails n’a pas de moules suffisamment grands. Les seules coutures qu’on peut voir sur les voiles, ce sont les finitions. Il n’y a plus rien de structurel qui soit cousu. »
Quels sont les éléments qui déterminent les choix fait dans le design d’une nouvelle voile ?
AG : « C’est très difficile de mettre des chiffres sur les performances des voiles. C’est essentiellement du ressenti, on part de notre expérience. On observe les voiles des bateaux qui naviguent et, en fonction de ça, on se dit qu’on veut quelque chose d’un peu plus creux, un peu plus plat, on va remonter ou redescendre le vrillage (ndlr. le vrillage, vu de l’arrière du bateau, correspond à la différence d’ouverture des voiles entre le sommet et le bas)… On joue sur tous ces paramètres et c’est pour ça qu’il n’y a pas deux voiles qui se ressemblent. Entre le premier jeu de voiles reçu et le second, tu vois forcément des choses qui ne te plaisent pas, tu as appris du bateau et du coup tu ajustes. Même si les outils de conception ont fait beaucoup de progrès, ça reste très empirique. »

Et la data dans tout ça, n’a-t-elle pas un rôle à jouer ?
AG : « La récolte de datas effectuée par Gauthier Guillou (ndlr. Responsable Performance du projet APIVIA) ne joue pas sur la conception des voiles, mais elle permet d’affiner les « ranges » d’utilisation des voiles (ndlr. conditions dans lesquelles les voiles sont le plus performantes) et les « crossover » (ndlr. capacité d’une voile à être utilisée dans différents ranges). Par exemple, si on décide de prendre un J-0* et un FR-0*, on va faire plein de bords sous J-0* à différents angles de vent. On va faire la même chose sous FR-0*, puis on va comparer les datas. Elles vont nous dire quelles voiles favoriser selon les conditions, ce qui aide beaucoup en navigation. En plus, comme on a découvert le range d’utilisation des voiles, on peut choisir de les typer encore un peu plus pour ce range là ou bien pour un autre afin d’étendre sa plage d’utilisation. On utilise ce qu’on appelle des « sailects ». C’est ce qui définit les plages d’utilisation des voiles, et ce ne sont pas du tout les mêmes pour un Vendée Globe et pour une Transat Jacques Vabre, ce n’est pas du tout le même jeu de voile. »
Est-ce qu’il arrive souvent que des voiles cassent en course ou en entraînement ?
AG : « Ça dépend beaucoup du marin et de l’utilisation qu’il a de ses voiles. En ce qui nous concerne, tout le monde a été bluffé par l’état des voiles d’APIVIA au retour du Vendée Globe, à se demander si le bateau avait fait un tour du monde. Charlie a dû faire très attention à rouler ses voiles tôt, à éviter qu’elles ne battent, il a bien rangé son matériel… Quand on a déroulé certaines voiles pour les vérifier, on les a directement rangées parce qu’elles étaient impeccables. Du coup, elles pourront resservir cette saison ! »

Comment répare-t-on des voiles, que ce soit hors course ou même en course ?
AG : « Aujourd’hui, comme les voiles sont fabriquées en composite, il suffit de les recoller pour les réparer. Donc en course, il faut trouver la bonne surface, Charlie dispose de patchs, donc il les colle, et c’est tout. Forcément, à terre les conditions sont différentes, mais globalement le principe est le même. »
Quelles voiles ont été embarquées sur APIVIA pour le Vendée Globe ?
AG : « On avait le droit d’embarquer huit voiles. Sur ces huit voiles, il y en quatre que tout le monde avait : la Grand-Voile* qu’on utilise en tout temps, le J-2* qui est toujours à poste (le plus grand), le J-3* qui est un foc de pseudo-tempête (plus petit) et le tourmentin*. Ça, c’est la voile de tempête qui est orange fluo. Théoriquement, on ne la met jamais, elle est presque plus réglementaire que vraiment utile. Il y a ensuite quatre autres voiles, et c’est là que tout se joue. C’est là que chacun met en place ses stratégies en fonction de son bateau et de ce qu’il sent. Globalement, ce sont des voiles de portant. On trouve souvent deux voiles de tête, qui sont hissées tout en haut du mât, et deux voiles de capelage, dont le point de drisse se trouve plus bas, au niveau de l’étais de J-2*. C’est ça la tendance générale.
Dans les voiles de tête, il en faut une très grande : soit un spi*, soit, dans notre cas, un MH-0*. Ensuite, tous les bateaux ont un J-0*, qui est une grande voile de tête pour le reaching, plutôt utilisée dans du petit temps. Après, il y a les deux voiles de capelage. Ce sont des voiles plus petites. On y retrouve le FR-0* (pour « Fractional 0 »), qui est assez plate et qui sert à faire du près dans le petit temps, ou du portant dans beaucoup de vent. Puis on a le A7* ou le A65*, qui sont des gennakers utilisés au portant entre 22 et 28 nœuds de vent.
Sur un Vendée Globe, comme on n’a que huit voiles, on n’a pas de back-up. En conséquence, on essaie de faire du crossover et de l’overlap. Concrètement, on essaie de faire en sorte que le J-0* et MH-0* puissent un peu prendre la place de l’un et de l’autre en cas de casse. On ne peut pas remplacer une voile par l’autre exactement, mais l’objectif est de ne pas remettre en cause toute la course s’il y a de la casse. »

Quelles sont les évolutions prévues pour la Transat Jacques Vabre ?
AG : « On a lancé la production de deux nouvelles voiles qui sont différentes de celles qu’on a aujourd’hui dans notre inventaire. Le but est de compléter et de voir si on peut trouver la « voile miracle ». On cherche également à combler les petits trous, à déplacer les ranges d’utilisation éventuellement. Après, il y a une voile qu’on a fait en 2019 et qu’on n’a pas du tout utilisé en 2020 : le spi*. Sachant que c’est du double cette année, on pourrait le ressortir, se refaire une culture et voir si c’est toujours une voile qu’on abandonne… ou pas ! »
Pourquoi le spi est peu utilisé par les skippers d’IMOCAS ?
AG : « C’est une voile très difficile à manœuvrer. Du coup, tu hésites vraiment avant de la mettre. Il faut être sûr que les conditions soient bonnes pendant 12/24h sinon tu ne la mets pas. Ensuite, les bateaux ont tellement progressé, ils vont tellement vite maintenant, qu’on estime que le spi n’a plus trop d’intérêt. »
Et le fait que la V2 de foils soit possiblement utilisée cette saison, est-ce que cela a un impact sur le choix des voiles ?
AG : « J’espère que cela aura un impact, oui ! Si c’est le cas, ça veut dire que les foils V2 fonctionnent mieux que la V1 et qu’ils nous ont fait progresser ! »
*Lexique des voiles d’APIVIA
- Grand-Voile : voile située à l’arrière du mât d’une surface maximum de 160 m². Contrairement aux voiles d’avant (celles situées, à l’avant du mât), elle n’est pas interchangeable en course. Il est possible de la « rétrécir » lorsque le vent est trop fort, on appelle cela une « prise de ris ».
- Tourmentin : d’une surface de 20 m² et de couleur orange fluo, il est seulement utilisé lorsque le vent est très fort (jusqu’à 55 nœuds). C’est un élément de sécurité
- J-3 : voile de près utilisé dans du gros temps, lorsque le vent souffle entre 25 et 35 nœuds. Il est positionné sur l’étai le plus proche du mât.
- J-2 : voile qui reste toujours à poste. Son étai est structurel (il tient le mât), il ne peut pas être affaler par conséquence. Ce foc de 100 m² environ est une pièce maitresse de la bonne marche du bateau.
- FR-0 : voile de près utilisée dans le petit temps et au reaching.
- J-0 : gennaker (voile d’avant asymétrique) de tête (part du sommet du mât). Voile plate de 190 m² pour les petits airs et le reaching.
- A-65 : gennaker de capelage (part de plus bas sur le mât : l’étais de J-2) utilisé au reaching et portant dans le vent fort.
- MH-0 : grande voile d’environ 300 m². Elle s’enroule sur un emmagasineur ce qui la rend plus facile à manœuvrer qu’un spi, mais ne s’installe pas au plein vent arrière (entre 120 et 160° du vent).
- Spi : voile de 420 m², fait la surface d’un terrain de basket. C’est la voile la plus imposante à bord. Elle est utilisée aux allures de portant dans des conditions de vent maniable.